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Le droit d’auteur de la Couronne au Canada: une disposition désuète et inutile

par Amanda Wakaruk en collaboration avec Mélanie Brunet

Les bibliothécaires et le personnel des bibliothèques agissent souvent comme médiateurs entre les auteurs et les lecteurs. Cette relation s’inspire en partie de la loi canadienne sur le droit d’auteur. Cet instrument législatif établit le cadre juridique pour l’utilisation d’œuvres originales et tente d’atteindre un équilibre entre les besoins des titulaires de droits économiques et le grand public. Pour la plupart des types d’œuvres, il est facile de comprendre comment la protection des droits économiques par l’État et les exceptions aux atteintes peuvent encourager la création de nouveaux contenus culturels. 

Les bibliothèques servent d’abord les titulaires de droits en achetant leurs produits, dont beaucoup sont ensuite achetés par les usagers qui découvrent ces œuvres pour la première fois par l’intermédiaire de leurs bibliothèques ou qui choisissent d’utiliser les bibliothèques comme une sorte de « service d’aperçu ». On dit que de telles protections encouragent la création de nouvelles œuvres par ceux qui sont les plus qualifiés dans ce type de travail. Les bibliothèques servent le bien public en offrant un accès démocratique à la production culturelle de notre communauté mondiale, inspirant ainsi la création de nouvelles œuvres et engageant le public en favorisant le cheminement d’une population informée (qui s’avère aussi une condition préalable d’une démocratie fonctionnelle). 

Cet équilibre s’applique à tous les types d’œuvres protégées par le droit d’auteur, à l’exception d’une seule: les œuvres produites par nos gouvernements. Dans ces cas, le titulaire des droits (c.-à-d. l’organisme gouvernemental, l’appareil judiciaire ou le Parlement) ne nécessite pas de protections économiques pour encourager la création de l’œuvre. Un gouvernement produit des communiqués de presse, des rapports et des publications législatives pour promouvoir les objectifs de ses politiques et de ses programmes, et non pour s’enrichir aux dépens des gens qu’il gouverne. Cependant, les protections relatives à la réutilisation de ces œuvres demeurent en place. 

Canadian Parliament buildings

Quelle est donc la raison d’être du droit d’auteur de la Couronne? Par le passé, lorsqu’un unique éditeur obtenait une licence pour produire les œuvres du gouvernement, comme bon semblait au gouvernement de l’époque, le droit d’auteur de la Couronne servait d’outil pour contrôler l’information diffusée et la façon dont elle était diffusée. Alors que les représentants du gouvernement pourraient soutenir que le processus était nécessaire pour assurer ‘l’exactitude et l’intégrité’, leurs critiques suggéreraient plutôt qu’il s’agit d’une forme de censure de la part de Sa Majesté. Aujourd’hui, la Loi sur l’accès à l’information (de concert avec les systèmes de gestion des documents et les politiques internes de publication) détermine les modalités de diffusion de l’information.

Très peu de démocraties modernes restreignent la réutilisation de publications gouvernementales aussi étroitement que le régime canadien actuel. En fait, le Canada est peut-être le seul pays dont la disposition sur le droit d’auteur de la Couronne est antérieure à la Première Guerre mondiale et permet que le droit d’auteur existe à perpétuité pour les œuvres gouvernementales non publiées. L’article 12 de la loi canadienne sur le droit d’auteur provient d’une loi britannique adoptée en 1911. Il est grand temps de réviser cet article. 

En raison de l’avènement de l’édition numérique et des attentes accrues liées à l’utilisation et à la réutilisation d’œuvres accessibles au public, les bibliothécaires responsables de l’information gouvernementale se retrouvent dans une situation délicate. D’une part, d’un point de vue technologique, ils sont maintenant en mesure de recueillir, de rassembler, de préserver et de partager des publications gouvernementales directement à partir des sites Web gouvernementaux. Par contre, d’un point de vue juridique, ils ne peuvent remplir leur rôle d’intendance qu’en s’appuyant sur des exceptions aux violations du droit d’auteur (sans jurisprudence à l’appui). C’est un risque juridique que peu d’institutions sont prêtes à prendre et qui entraine des coûts sociaux importants. 

Très peu de démocraties modernes restreignent la réutilisation de publications gouvernementales aussi étroitement que le régime canadien actuel.

D’innombrables publications gouvernementales ont été retirées de sites Web sans avertissement et sans être archivées (1). De nombreux programmes de numérisation et de préservation numérique gérés par des bibliothèques ont dû être retardés ou abandonnés en raison de conditions d’utilisation portant à confusion, de retards dans l’obtention de permissions ou de refus catégoriques de la part des titulaires de droits de permettre la reproduction et la redistribution d’œuvres (2)

De plus, les obstacles à la réutilisation créés par le droit d’auteur de la Couronne transcendent les secteurs et les intérêts politiques. Il est révélateur que près de 1 500 Canadiens aient signé une pétition demandant au gouvernement fédéral de retirer la protection du droit d’auteur pour les œuvres gouvernementales une fois que ces œuvres ont été mises à la disposition du public. Une autre solution appropriée serait d’attribuer une licence Creative Commons Attribution (CC BY) à toutes les publications gouvernementales au moment de leur publication et par défaut

Le moment est venu pour les Canadiens de commenter cette disposition désuète.

Le niveau actuel de contrôle sur les œuvres publiées par les agences gouvernementales est à la fois contraire aux objectifs d’un gouvernement ouvert et exacerbe le déficit démocratique dans notre pays. Entre-temps, les États-Unis placent par défaut la plupart des œuvres de leur gouvernement fédéral dans le domaine public, et ce, depuis plus de 100 ans. 

Il est encourageant de constater que des intervenants importants, y compris l’Association des bibliothèques de recherche du Canada (ABRC), l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU), la Fédération canadienne des associations de bibliothèques (FCAB), le Conseil canadien des archives (CCA) et Creative Commons, ont demandé au gouvernement fédéral d’examiner et de réformer le droit d’auteur de la Couronne dans le cadre de la revue actuelle de la Loi sur le droit d’auteur. Les soumissions personnelles sont également encouragées et j’espère que vous en rédigerez une fondée sur votre expérience. Mon mémoire est disponible ici et sur le site Fix Crown Copyright

Le moment est venu pour les Canadiens de commenter cette disposition désuète. En plus de la revue législative actuelle, la Cour suprême du Canada a récemment accordé l’autorisation d’interjeter appel dans une affaire qui traitera directement de la question du droit d’auteur de la Couronne. Bien que la cause concerne le travail de sociétés privées, dont certaines titulaires d’une licence du gouvernement, la décision de la Cour dans l’affaire Keatley Surveying Ltd. c. Teranet Inc. pourrait avoir des répercussions pour les bibliothèques. Les mémoires relatifs à la demande d’autorisation d’appel font état d’un large éventail de questions connexes, y compris l’utilisation équitable, la neutralité technologique et la version canadienne du « droit de première vente ». Toutes ces questions concernent le travail des bibliothèques d’aujourd’hui et de demain. 


1  Voir Michael B. McNally, Amanda Wakaruk et Danoosh Davoodi, « Rotten by Design: Shortened Expiry Dates for Government of Canada Web Content », Actes du congrès annuel de l’ACSI, 2015 et « What the Heck is Happening Up North? Canadian Government Information, Circa 2014 », Documents to the People (DTTP), 42.1 (printemps 2014), p. 15-20.

Voir plusieurs présentations énumérées sur le site d’Amanda Wakaruk, en particulier « Could it be a case of the emperor’s new clothes? Crown Copyright and Canada’s Commitment to Open Government », Government Information Day, Toronto (Ontario), 9 décembre 2016.


Crédits photo: Clem Slim on Unsplash

Amanda Wakaruk est la bibliothécaire des droits d’auteur à l’Université de l’Alberta. Elle a travaillé en tant que bibliothécaire de l’information gouvernementale pendant plus de quinze ans, a occupé divers postes professionnels connexes, a donné des cours de deuxième cycle sur l’information gouvernementale et a fondé le Canadian Government Information Digital Preservation Network. On peut communiquer avec Amanda par courriel à amanda.wakaruk [a] ualberta.ca ou par le biais de Twitter @awakaruk.

Mélanie Brunet est la bibliothécaire des droits d’auteur à l’Université d’Ottawa depuis 2016. Avant de retourner dans le monde universitaire, elle était bibliothécaire dans la fonction publique fédérale, d’abord à Bibliothèque et Archives Canada et ensuite au Centre de recherches pour le développement international. On peut communiquer avec elle par courriel à melanie.brunet [a] uottawa.ca ou par le biais de Twitter @MelanieBrunet.

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